L’e-contestation via Facebook a gagné le monde du travail au Maroc. En effet, de nombreux internautes n’hésitent plus à porter devant le grand public leurs revendications. Les derniers en date sont les banquiers, notamment des cadres des banques de la place ont exprimé leur grogne sur Facebook et ont programmé avec leurs collègues la préparation de la grève de 24 h qui a eu lieu jeudi dernier, suite à l’appel de la CDT, et qui a connu un succès.
Les commentaires continuent encore, vu que les banques n’ont pas encore donné suite à leurs doléances. C’est surtout la génération Y qui fait appel à ce réseau social, car ces jeunes cadres n’acceptent plus que les délégués du personnel ainsi que les bureaux syndicaux «démissionnent» de leur mission de défendre les intérêts légitimes du personnel et se rangent du côté de l’employeur. Pour ces jeunes ou même pour les plus vieux, qui se sentent lésés, que leur reste-t-il à faire pour exprimer leurs doléances et pour que ces dernières trouvent un écho au niveau du top management ? Pour le moment, des milliers de personnes se défoulent sur le Net. Mais attention, il faut procéder d’une manière intelligente.
Ce serait inutile d’insulter les patrons et il faut que les réclamations soient professionnelles. Le pire dans l’histoire c’est que l’auteur d’une revendication doit être connu, ce qui le met en danger tandis que l’anonymat n’arrange pas non plus les choses. «Que cela soit via facebook ou d’autres réseaux, l’anonymat n’a pas de place en matière de revendications, il faut qu’il y ait toujours une signature. Je sais que personne ne le fera de peur d’être poursuivi ou tout simplement fiché», conseille Ali Serhani. Et d’ajouter : «cependant on ne doit pas oublier que nous devons toujours être responsables de nos actes. L’anonymat c’est la lâcheté au sens propre du terme. Je pense que l’anonymat n’est synonyme de qualité qu’en matière de charité. Point final».
Mais ce n’est pas seulement l’employé qui risque d’y laisser des plumes, une fois que les contestations publiées sur le Net, l’entreprise le sera aussi, vu que cela nuira à son image. «C’est le cas lorsque ces réseaux parlent de choses sérieuses qui sont fondées et lorsque nous trouvons des affirmations qui reposent sur des réalités mais également sur des preuves communiquées ou publiées par des gens responsables», précise le consultant. Par contre si une personne publie une critique de manière anonyme, alors il faut savoir que cette personne n’est pas digne de foi. «Attention ! Les NTIC sont une arme redoutable. Celui qui la manie doit savoir que cette arme peut se retourner contre lui. Donc si vous avez des blogs dans lesquels vous trouvez des insanités anonymes alors c’est bon à jeter à la poubelle sinon on se retrouvera à halluciner !». In fine, s’exprimer sur facebook, devrait être le dernier recours après avoir épuisé toutes les voies officielles, car cela peut nuire à la personne elle-même, mais aussi à l’entreprise, d’où l’intérêt de laver le linge sale entre les deux parties. Aussi, les chefs d’entreprise doivent être à l’écoute des revendications internes et initier une bonne communication en interne pour éviter tout dérapage. De plus, la meilleure des choses serait d’instaurer un système d’évaluation, pour ceux qui ne l’ont pas encore mis en place et qui sont légion, pour récompenser les plus performants et motiver les équipes. Enfin, si dérapage il y a, c’est qu’il y a une mauvaise gestion RH.
«Les employeurs doivent faire preuve d’anticipation»
Avis de l’expert • Ali Serhani , Consultant RH Associé
Comment Facebook et les réseaux sociaux vont-ils révolutionner la relation employés/employeurs ?
Comme ils le font déjà sur plusieurs registres sinon dans plusieurs domaines de la vie de tous les jours. C’est dans l’aire du temps comme on dit ! Cependant et concernant le Maroc et dans ce domaine précis, je dirai que ce n’est pas pour demain. Je m’explique : cela prendra un peu de temps car les relations entre employeurs et employés obéissent à des critères particuliers dans notre pays et prennent en considération les caractéristiques de notre culture. Le contact prime et nous en sommes toujours à cette relation où il y a cette nécessité de voir la personne concernée pour lui faire part de nos doléances que cela soit de manière directe ou via des délégués du personnel ou syndicaux. Ce qui se pratique sous d’autres cieux notamment aux USA et en Europe a pris beaucoup de temps avant de donner ce que l’on voit aujourd’hui.
Comment les entreprises doivent gérer les revendications mises en ligne ? Faut-il les prendre au sérieux ou ne pas s’en soucier ?
Tout d’abord une entreprise qui se retrouve avec des revendications mises en ligne par son personnel est pour moi une entreprise qui a failli. Celle-ci devra donc se poser la question de savoir comment elle en est arrivée au stade où son personnel ait fait des revendications sur le net alors que le management est réputé être le «réceptacle» de toutes les revendications et y répondre positivement ou négativement de la manière la plus professionnelle qui soit. Attention! Quand je parle de revendications via le web, je parle bien sûr des revendications légitimes, objectives et sérieuses et qui ne sont pas anonymes. Si c’est le contraire il ne faut pas leur donner l’importance qu’elles ne méritent d’ailleurs pas d’avoir. Car dans ce cas n’importe qui pourrait écrire n’importe quoi et on se retrouvera à gérer des situations rocambolesques.
Autre chose. Concernant les employeurs, ils doivent toujours faire preuve d’anticipation.
Cette dernière permet à l’entreprise de prévenir des situations délicates qui peuvent aboutir parfois à des résultats catastrophiques pour l’entreprise en termes d’image.
Si le ou la DRH (quand ils ont bien sûr les pleins pouvoirs) font correctement leur travail, je ne pense pas que le personnel s’amuserait à faire ses revendications sur la place publique. En deux mots, permettez-moi et au risque de me répéter de vous dire que lorsque des contestations se font via le net, c’est que le Management de l’Entreprise n’a pas fait correctement son travail.
Il doit prendre les devants et être très présent en communiquant au maximum et en mettant à contribution les délégués du personnel et donc être proche de son personnel même si les relations sont parfois très délicates. Ceci lui permettra d’éviter de voir que sur la place publique on déballe tout et de manière très brutale. Ne l’oubliez pas avec les NTIC, le monde est devenu une simple place publique. Village planétaire oblige.
Faut-il maintenir la veille sur ces plateformes de rencontre ?
Et comment !!!! Il ne faut jamais laisser au hasard quoi que ce soit. Il est révolu le temps où vous aviez un manager stupide qui vous dit que « si vous arrivez à toucher votre oreille avec vos dents alors mordez-la ! ». Comme susmentionné c’est dans l’aire du temps. L’employeur se doit d’être très présent dans ce genre de réseaux, car cela lui permet d’anticiper avant que la tempête ne l’emporte lui et son entreprise. Sans oublier que c’est le changement qui l’impose.
Soit on est dedans, soit on est « out ». Je ne vous apprends rien, le monde a beaucoup changé, nous communiquons beaucoup via Internet. Donc la veille se doit d’être permanente afin de permettre à l’employeur d’être au courant de tout ce qui se passe et de rectifier le tir au cas où une annonce ou une information publiée dans un site ou blog donné risquerait de nuire à sa notoriété. Sir Winston Churchill, célèbre Premier ministre britannique ne disait-il pas que : « Le changement, il faut toujours le prendre par la main pour éviter qu’il ne vous prenne par la gorge ». Donc à méditer.
Que conseillez-vous aux employés qui souffrent de discrimination et qui veulent s’exprimer sur ces réseaux ?
S’ils ont le choix qu’ils quittent l’entreprise dans laquelle ils sont, pour rejoindre d’autres cieux plus cléments et qu’ils ne se cassent pas la tête à exprimer leur colère via le web car cela ne leur « rapportera » que des problèmes. N’oubliez pas que nous vivons dans une société ou la rancune est très présente. En attaquant de manière frontale le patron ou le DRH ou l’actionnaire, etc. sachez dès lors qu’il ne vous le pardonnera jamais et qu’il fera tout pour vous rendre la pièce de votre monnaie. La vengeance est un plat qui se mange froid, très froid dans notre culture. Car tout est pris au niveau personnel. Malheureusement, on ne sait pas dissocier entre le personnel et le professionnel. Sous d’autres cieux vous pouvez critiquer votre patron mais quand cela demeure professionnel et fait de manière très professionnelle également, ce dernier ne peut qu’obtempérer, car il a compris le message mais aussi parce que vous êtes protégés tant que vous êtes dans la légalité.
Rappelons nous ces derniers mois ce qui s’était passé en France où une personne avait été virée de son emploi, car elle avait insulté via facebook son employeur et avait proféré des insanités. La cour avait estimé que le licenciement n’était pas abusif. Donc attention à ce que vous écrivez ou publiez, ne faites pas comme on dit au Maroc, la bêtise de « donner à votre vis-à-vis, l’arme avec laquelle il vous abattra ». Je compléterai en disant, qu’avec les NTIC, l’arme avec laquelle il pourra vous « abattre » à court, moyen ou long terme, il aura le choix de l’utiliser comme il le veut et le moment venu.
Autre « warning », je dirai de faire très attention avec certaines personnes, car derrière une façade d’ouverture qu’elles essayent de donner, se cachent parfois des gens vicieux et très rancuniers. Ils attendront toujours le moment venu pour se venger. Il n’y a pas d’autres mots pour le dire. Donc faites très attention à ce que vous « balancez » sur le net.
Et pour conclure ?
Pour ma part, je dirai que si vous avez un problème avec votre entreprise, réglez le « en direct » avec votre supérieur immédiat ou avec votre DRH ou au final avec le DG de l’entreprise si la situation devient très délicate. Si tout ce beau monde est obtus, faites intervenir les délégués du personnel ou syndicaux, ils sont là pour ça je crois et ont été élus pour jouer ce rôle de soupape entre le personnel et le management de l’entreprise. Je pense qu’en « rouspétant » de cette manière, vous resterez toujours un PRO car cela restera toujours très responsable comme attitude. L’adage dit que les paroles s’envolent et les écrits demeurent. Concernant le point que nous traitons dans cette interview, essayez de comprendre cet adage d’une autre manière. Je m’explique : publiez quelque chose et vous verrez que chaque fois que vous ouvrirez votre bouche, on vous le ressortira illico presto. Donc la prudence demeure de règle chaque fois que vous souhaiteriez écrire ou publier quoi que ce soit sur les réseaux sociaux.
Par Nadia Dref | LE MATIN